L'histoire ou la face cachée
Un vent puissant, une inondation, une
déclaration politique… autant d'événements qui peuvent être rattachés ou
détachés de la volonté du Créateur.
Deux angles opposés et de même sommet
s'affrontent dans l'appréhension du cosmos et de tout ce qu'il contient : le
religieux et le laïc. Le premier attribue des forces supranaturelles,
transcendantales, à la création. Le second explique tout scientifiquement,
rationnellement, et ce qu'il ne parvient pas à résoudre, il a bon espoir d'y
parvenir un jour. Nous allons nous interroger sur les principes de dichotomie
ou de compatibilité entre la foi et le cartésien. .
Le superstitieux et le rationnel
Un volcan entre en éruption. Une peuplade
primitive vit en-dessous de lui, dans la plaine. Elle humanise le volcan, lui
prête des intentions, de la colère. Elle s'en remet à sa clémence, sa bonté. Ses
notables déposent des offrandes, des simples oranges aux sacrifices humains, pour
l'apaiser. Que le volcan cesse de gronder, et ils attribueront cette annulation
du funeste décret à leur intervention. Le scientifique sourit, et peut leur
expliquer, si seulement ils sont prêts à l'écouter, les phénomènes tectoniques
sous-jacents, les faiblesses et les failles de la croute terrestre, le magma
qui sommeille en-dessous.
Récemment encore, chez les Papous, on se
livrait au cannibalisme. Ça n'avait rien de méchant ; au contraire, on montrait
en consommant la chair fumée des chers disparus combien on les aimait.
D'ailleurs, tout le monde n'avait pas droit à ce privilège, seulement les plus
proches, et un rituel précis prévoyait la répartition des membres du défunt à
ceux de la famille. Ainsi, dans une contrée de l'Est de la Nouvelle-Guinée, chez
les tribus Foré, alors colonie
britannique, beaucoup mouraient, frappés par le kuru. Deux groupes se livraient
une guerre acharnée, s'accusant mutuellement de dispenser généreusement des
malédictions à l'autre camp. Le kuru, qui faisait perdre au malade le sens de
l'équilibre, sa lucidité, son appétit, provoquait aussi des tremblements dont
l'origine remontait sans coup férir à des pratiques de sorcellerie. La maladie
a été comparée à celle de la vache folle ou plus exactement dans leur cas au
syndrome de Creutzfeldt-Jakob. Et pourtant, impossible
de conjurer le mauvais sort. Les Anglais, garants de la civilisation et de ses
valeurs, ont interdit le cannibalisme, et, pour se faire obéir, ils ont
désignés des surveillants locaux. De la sorte, cette pratique a pris fin.
Simultanément, par extraordinaire, alors que les recherches de médecins
européens ayant vécu longtemps au milieu des Papous n'ont pratiquement rien
donné, bien qu'ils soient allés jusqu'à mettre en confiance un chef pour qu'il
les laissât prélever un échantillon de cerveau d'une jeune victime, afin de
l'inoculer à des bonobos et de constater que, de cette manière, le mal était
contagieux, la maladie disparut comme par enchantement.
Nous pourrions conclure que, s'étant
humanisés, ils obtinrent une bénédiction du Ciel qui leur accorda la grâce et
la guérison miraculeuse. On peut dire aussi que la consommation des cellules
malades et contagieuses des défunts ayant pris fin, les jeunes papous comme les
vieux ont tout simplement arrêté de se contaminer.
Mais l'un empêche-t-il l'autre?
Expliquons-nous. Il est effectivement facile
de s'accorder le beau rôle du scientifisme et de l'athéisme en se mesurant à
des superstitieux, à des gens qui se réfèrent à mille et un dieux, qu'ils
soient sophistiqués comme ceux de l'Olympe ou plus bruts, impliquant la
déification de chaque élément, montagne, torrent, soleil, et à plus forte
raison les éléments frappants l'imagination ou frappants tout court comme les
volcans, les tsunamis, les éclairs et le tonnerre... Mais il est peut-être
moins aisé de s'attaquer au véritable monothéisme, celui des Hébreux devenus
Juifs et témoins de la Révélation. Car qui a dit qu'un phénomène naturel
explicable scientifiquement n'est pas en soi l'émissaire qui vient exécuter la
sentence divine?
Une difficulté majeure se retrouve dès qu'il
est question de châtier les créatures, quand leur sort est irréversiblement
scellé. Nous nous arrêterons succinctement sur trois événements bibliques
significatifs. La génération dite du déluge, la plaie des sauterelles et
l'anéantissement de l'armée pharaonique dans les eaux de la mer des Joncs. Si
nous partons du principe que l'Eternel a non seulement créé les cieux, la
terre, etc., mais que de surcroît il en maintient à tout instant l'existence,
pourquoi ses décrets sont-ils réalisés par les voies naturelles? Au lieu de
retirer la vie à la génération de Noé, comme il le fit en ne restituant pas
leurs âmes aux soldats de Sennachérib assiégeant Jérusalem sous le règne
d'Ézéchias, nous constatons en lisant simplement le texte qu'il faut d'abord
quarante jours de pluies, puis une deuxième période équivalente pour que les
montagnes les plus hautes soient submergées, et enfin une dernière pour que le
niveau redescende. Pour la plaie des sauterelles, le texte est explicite :
c'est un vent qui les apporte, et c'est encore un vent qui les emporte. Quant à
l'ouverture de la mer, il est bien précisé qu'un vent puissant a soufflé toute
la nuit précédente. Donc, tous ces phénomènes peuvent être expliqués
scientifiquement : la pluie, l'inondation, la tempête, un phénomène ponctuel de
marée basse…
Les sources racontent que Titus avait bien
compris le principe. Dieu se sert des éléments pour exécuter ses décrets. Après
la destruction du Temple, Titus prend la mer. Elle commence à s'agiter. Il
défie le Créateur. «Bien sûr, tu ne te sens fort que sur l'eau. Tu es bien
moins efficient sur la terre ferme.» La mer redevient calme. Puis un insecte
ailé s'introduit dans la narine de Titus, se loge dans ses sinus et bourdonne.
Impossible de l'en extraire. Le supplice se fait de plus en plus insoutenable,
et ce n'est qu'en se tenant près d'un forgeron qui frappe le métal que Titus peut
ressentir un soulagement. A sa mort, on retira de son cerveau un énorme
moustique. Quel entomologiste zélé nous donnera le nom de ce nématocère? Car
voici encore un phénomène qui peut s'expliquer rationnellement.
Dans ce contexte, un autre phénomène
remarquable met en scène les éléments naturels. D'ailleurs il nous ramène une fois de plus au thème du volcan.
Pompéi est bien connue, moins qu'Herculanum, Oplontis ou Stables. Ces quatre
imposantes cités romaines de Campanie ont été détruites en quelques heures par
un feu tombé du ciel, soit par l'éruption du Vésuve, plus rationnellement
parlant. Cette brutale disparition de villes entières n'est pas sans rappeler
les quatre villes dont la culture générale a surtout retenu les noms de Sodome
et Gomorrhe. Dans les deux cas, les cites sont restés dans leur état de
désolation. Le plus fort, c'est qu'à Pompéi, si jamais on chercherait à
remettre en question cet événement, des fouilles ont permis de retrouver les
habitants de la ville dans le feu de
l'action, si l'on peut dire, dans ce à quoi ils étaient occupés au moment où la
pluie incandescente les a surpris. C'est à Pompéi que vivaient les dirigeants romains,
le gratin d'une société qui n'était pas étrangère à la destruction du Temple. En
62 de l'ère vulgaire, la région subit un premier tremblement de terre. Le sol
se montre nerveux en 70. Du mois d'août 70 au mois d'août de l'an 79, de la
destruction de Jérusalem aux villes nanties de Rome anéanties dans la foulée, il
est bien entendu tout à fait possible d'expliquer le plus scientifiquement qu'il
soit ce qui s'est produit.
L'observation de la nature,
remercier Dieu ou le renier
Il est en principe impossible de prouver
scientifiquement l'existence de D., puisque le scientifique raisonne sur le
mesurable. Mais il nous reste le raisonnement par l'absurde. Ce procédé
démontre que ci le phénomène x qui représente l'antithèse du phénomène y est
impossible, alors la réalité d'y s'impose.
Aristote, Platon, et les autres, sont connus
pour leur position sur la question de la création. Ce qui les dérange, c'est
qu'il ne peut y avoir de création sans créateur, et on le retrouve à tous les
niveaux de ce qui est fabriqué sur terre par un être vivant : la maison de
l'homme, le barrage du castor, le nid de la pie… Et c'est là que la solution
desdits philosophes est originale. Pour eux, le monde n'a pas été créé, pour la
bonne raison qu'il a toujours existé. C'est une situation donnée connue depuis
toujours, depuis que l'homme est homme. Leur position est solide. Ce n'est pas
à eux de prouver que le monde a toujours existé, mais à ceux qui le contestent
de prouver son contraire. Tout au plus admettent-il cependant une cause
créatrice, mais pas dans le sens où l'entend le judaïsme, ni les religions qui
en dérivent ou s'y greffent, et la nuance est énorme : car pour eux la matière
est préexistante et c'est elle qui permet à l'entité créatrice d'inférer des
formes à la matière, un peu comme le plus brillant des peintres utilisera dans
tous les cas des matériaux, toile, couleurs, et des outils, contenants,
pinceaux…
C'est un problème de vocabulaire qui nous fait
penser que le philosophe et le rabbin ne discutent pas sur un malentendu, dans
un total quiproquo, et qu'ils débattraient sur la même longueur d'onde. En
effet, le verbe bara, dans le premier verset de la Genèse, est traduit
par créa. Le problème, c'est que le verbe suivant, qui porte la racine yaçar,
est aussi rendu par créer. Or, il ne peut en être ainsi, puisque le
premier verbe indique une création à partir du néant, et le second à partir de
la matière. Ce second sens se retrouve aujourd'hui encore, puisque l'homme se
crée à partir de la terre, en tant que dernier échelon de la chaîne alimentaire
qui démarre à partir des sels minéraux contenus dans le sol, de l'eau qui est
aussi un minéral, et subissent diverses transformations pour devenir la matière
physique de l'homme. Yaçar devrait, au nom de la précision scientifique
linguistique, être rendu par former, ou transformer.
En revanche, l'idée créatrice et le principe de
l'expansion de l'univers chers à la physique cantique n'impliquent non
seulement aucune contradiction entre l'idée du Créateur et le raisonnement
scientifique, mais pourraient bien signifier que tous ces phénomènes physiques
et biologiques doivent bien avoir un auteur, qui créa le temps en même temps
qu'il créa l'espace.
Il en est de même pour la difficulté de
l'incompatibilité à première vue entre la matière et le spirituel. Or, l'idée générale
des tissus, qui se restreint aux dimensions de la molécule, puis de l'atome,
lui-même composé d'un noyau aux protons chargés positivement et aux électrons
de charge négative qui gravitent autour de celui-ci en laissant un énorme vide,
aboutit au principe de la non-existence de la matière, pure apparence, qui se
réduit à un assemblage, une relation, une interaction entre des phénomènes et des
forces qui donnent l'image si réelle et si solide de ce qui devient concret
pour la perception de nos sens.
Une autre idée, celle de l'élaboration des
espèces, quand sont extraits des couches géologiques plus anciennes des
organismes moins complexes que ceux des couches plus récentes, suit elle aussi
le déroulement chronologique biblique des six jours de la création, allant
d'une mer déserte à l'apparition des continents, puis du protozoaire au
mammifères dont l'homme est le sommet, s'il est permis de s'attacher dans le
récit de la création au sens obvie du texte.
Donc, les mêmes réalités entraînent des effets
opposés, puisque des mêmes observations on aboutit à de véritables postulats, à
deux systèmes dont l'un reconnait le Créateur, et l'autre le renie. Et s'il
existe un élément qui, par excellence, illustre cette divergence, c'est bien le
singe. Sa ressemblance avec l'homme est plus que frappante. Il est immanquable
que, lors d'une visite au jardin des plantes ou dans n'importe quel zoo, vous
ne trouviez pas un air de famille entre tel orang-outan et tel voisin pensif,
ou telle antelle ou ouistiti et tel enfant turbulent de votre voisinage. Encore
une fois, les réactions seront divergentes. Soit vous vous attacherez au dogme
évolutionniste qui vous fera voir en ce singe par raccourci votre grand-père,
soit vous remercierez Dieu pour avoir échappé à ce côté identique par la
différenciation que vous procure «juste l'âme pure dont la finalité consiste à
comparaître devant le Roi des Rois, le Saint béni soit-Il», cette âme qui vous
attribue le discernement et le libre arbitre, comme le suggère le rituel de
prière, le Sidour, au chapitre de la prière du matin.
Le gardien de son frère
Une autre difficulté, de taille, elle aussi, se
retrouve dans les brefs récits de la Genèse que le monde entier connaît par
cœur. C'est cette sorte de mouvement d'aller-retour constant, d'approche et
d'absence, pour ainsi dire, du Créateur auprès de sa création. Un ordre est
donné, ou établi. Adam ne doit pas consommer le fruit de la connaissance –
préférons à ce terme celui de discernement – et Caïn, froissé de s'être vu
refuser son offrande, reçoit un encouragement divin doublé d'une terrible mise
en garde. Il lui est enjoint de s'améliorer, sans quoi le péché, tapis à sa
porte, prendra possession de lui. On remarquera qu'à chaque fois, après la
faute, Dieu interroge le fauteur. Il cherche quelqu'un : «Où es-tu?» «Où est
ton frère?» Adam reste humble. Il tente piteusement de se justifier, aggravant
en fait son cas, puisqu'il est qualifié d'ingrat par les exégètes, reprochant
au Créateur son merveilleux cadeau : «c'est la femme que tu m'as donnée». Quant
à Caïn, il renvoie l'accusation à Dieu ; car lorsqu'il rétorque : «Suis-je le
gardien de mon frère?», qu'insinue-t-il exactement? «Le gardien, c'est toi. Où
étais-tu quand cet assassinat s'est produit?» Un homme en assassine un autre, et
la question, c'est de savoir où était Dieu à ce moment-là?!
Qui responsabilise l'homme acquitte Dieu. Et
qui déresponsabilise l'homme l'accuse. Le prophète vient renforcer cette double
relation, avec les deux côtés de la même médaille : «Béni soit l'homme qui
place sa confiance en Dieu…» «Maudit soit l'homme qui place sa confiance en
l'homme». Peut-être cette mise en garde vient-elle nous prévenir qu'il faut
prendre au sérieux les menaces des régimes humains, des mouvements idéologiques
destructifs et menaçants, sans chercher à les excuser et à minimiser le danger
potentiel qu'ils représentent, sans les décharger en accusant la conjoncture, sans
se dire qu'ils finiront par se calmer, qu'ils ne pensent pas vraiment ce qu'ils
disent. Il est très important de ne pas négliger les signes avant-coureurs
d'une catastrophe qui se prépare, fomentée par le genre humain.
Mais le libre arbitre de l'homme peut-il faire
échouer le programme de Dieu, qui consiste à l'amendement du genre humain, en
imposant une direction radicalement opposée? Puisque l'homme part dans toutes
les directions, c'est à l'homme, à titre individuel, de distinguer et de
déterminer dans quelle voie humaine se retrouve celle de Dieu. Prenons le cas
de la destinée nationale du peuple d'Israël. Plusieurs directions, plusieurs
tentatives ont animé les Juifs. Certaines options venaient de leur propre cru,
d'autres avaient été suggérées de l'extérieur. Il y a eu les aspirations du
Bund, l'idée du Birobidjan, l'idée de trouver une terre promise dans
l'immensité de l'Amérique du Nord, ou encore l'option en Ouganda. Il y a eu
aussi l'idée de faire partie prenante d'autres nations éclairées, pour finir fusées
éclairantes cherchant à nous débusquer. Une seule a fonctionné, en dépit de
toutes les forces qui s'acharnent contre elle pour la faire échouer ou la vider
de sa substance, de ces forces qui tentent d'en faire un pays comme les autres,
pas mêmes exclusivement celui de la nation juive.
Aujourd'hui, nous célébrons le centenaire de
la déclaration Balfour, un événement politique parmi tant d'autres, qui remonte
à l'époque de l'aube de la décolonisation, quand les nationalismes du monde
entier se sont mis à revendiquer leur indépendance. Cette toile de fond a fait que
les Juifs aussi se sont dit qu'ils avaient droit au retour de leur souveraineté
perdue, ces Juifs redevenus Palestiniens, puis Israéliens dès leur
indépendance. Une fois encore, c'est par les voies naturelles et politiques que
l'histoire avance à grands pas. D'un pharaon tyrannique qui pousse
naturellement vers la sortie d'Egypte, à une Europe et un monde arabe
chaotiques, qui poussent vers la sortie d'Edom.
L'histoire, l'avancée de la destinée
collective de l'humanité, derrière laquelle le Créateur cache ou révèle sa face
; les trois lettres STR, selon le système étymologique consonantique
hébraïque ou plus largement sémitique, racine du mot hiSToiRe,
forment en hébreu le mot SéTeR, caché «cacher je cacherai ma face», «aster
astir panaï». A l'homme de le voir ou de ne pas le voir.
Yéochoua Sultan ©
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